La diversité des modèles : panorama et enjeux

Dans le monde, trois grandes familles de systèmes de santé coexistent, chacun avec ses spécificités historiques et économiques :

  • Le modèle beveridgien : Inspiré du Royaume-Uni, fondé sur une couverture universelle financée par l’impôt et délivrée majoritairement par des structures publiques.
  • Le modèle bismarckien : Typique de l’Allemagne ou de la France, reposant sur des assurances sociales obligatoires financées par les cotisations de travailleurs et d’employeurs.
  • Le modèle de marché : Notamment aux États-Unis, caractérisé par une prépondérance d’assurances privées et une moindre intervention de l’État, même si des programmes comme Medicare et Medicaid existent.

Plusieurs pays adoptent des formes hybrides, comme les Pays-Bas, la Suisse ou l’Australie, qui mixent les logiques d’assurance et d’intervention publique.

Quels critères pour comparer objectivement ?

La comparaison ne saurait se limiter à un taux de mortalité ou de dépenses. Pour être pertinente, elle mobilise des indicateurs multidimensionnels, dont :

  • L’accès aux soins : proportion de la population couverte, obstacles financiers ou géographiques, déserts médicaux.
  • L’équité : mesure des écarts de santé en fonction du revenu, du genre ou du lieu de résidence.
  • L’efficience : rapport entre dépenses et résultats sanitaires, intégrant l’espérance de vie, la mortalité évitable ou la qualité des soins perçue.
  • La soutenabilité financière : poids des dépenses sur l’économie, reste à charge pour les ménages, évolution des coûts dans le temps.
  • L’innovation et la prévention : capacités d’adaptation, politiques de prévention, accès aux nouveaux traitements.

Nombre de rapports internationaux (OMS, OCDE, Commonwealth Fund) mettent en avant la nécessité de combiner ces critères afin d’éviter des analyses réductrices.

Indicateurs phares : que nous disent les chiffres ?

Certains indicateurs globaux offrent des points de comparaison éclairants, mais attention à leur interprétation :

  • Dépenses de santé par habitant : En 2022, les États-Unis dépensaient environ 12 914 dollars par habitant et par an, soit deux fois plus que la moyenne de l’OCDE (source : OCDE), sans pour autant avoir de meilleurs résultats de santé globale.
  • Espérance de vie à la naissance : Le Japon affiche l’une des plus hautes (84,5 ans en 2022), là où certains pays développés comme les États-Unis plafonnent à 77,2 ans malgré leurs dépenses élevées (source : OMS).
  • Couverture santé de la population : De nombreux pays européens approchent les 100 %, pendant qu'aux États-Unis, plus de 8 % des Américains restaient sans assurance en 2022 d’après le Census Bureau.
  • Reste à charge : En France, il s’élève en moyenne à 9 % des dépenses de santé, alors qu’il atteint plus de 30 % dans plusieurs pays d’Europe de l’Est selon l’OCDE.
  • Indicateurs d'efficience : Des pays comme l’Espagne ou l’Italie obtiennent d’excellents résultats de santé pour des dépenses bien inférieures à la moyenne OCDE.

L’importance du contexte : sociétés et systèmes

Comparer des systèmes de santé nécessite de tenir compte du contexte social, économique et culturel. Un même modèle peut produire des résultats différents selon le niveau d’éducation, l’organisation géographique ou la cohésion sociale.

  • Vieillissement démographique : Le Japon est confronté à une pression unique sur son système, avec près de 30 % de seniors.
  • Déploiement des ressources : Canada et Australie, vastes territoires faiblement peuplés, se heurtent à la question des soins en zones rurales.
  • Poids des habitudes culturelles : La prévention, fortement encouragée dans les pays nordiques, pèse directement sur les indicateurs d’addiction ou d’obésité.

Ces paramètres influent sur la performance du système au-delà de son architecture institutionnelle.

Classements internationaux : que valent-ils réellement ?

Des organismes internationaux effectuent régulièrement des classements, comme l’Indice de Performance des Systèmes de Santé du Commonwealth Fund ou l’analyse comparative de l’OMS. Ces classements s’appuient souvent sur une batterie d’indicateurs, mais leur méthodologie diffère :

  • L’étude du Commonwealth Fund de 2021 place la Norvège, les Pays-Bas puis l’Australie en tête, la France au 5ème rang, les États-Unis en dernière position parmi les 11 pays étudiés – principalement à cause de l’équité et du coût.
  • L’OMS, dans sa fameuse étude de 2000, avait placé la France au premier rang, mais cette méthodologie a été discutée pour les choix de pondérations.

Ces classements donnent des tendances, mais ne reflètent ni la totalité de l’expérience utilisateur, ni les adaptations à la pandémie ou aux nouvelles technologies. Ils restent des outils, pas des verdicts immuables.

L’arbitrage entre qualité, coût et accessibilité

Un système performant doit arbitrer entre plusieurs impératifs :

  • Qualité des soins : Mesurée par les résultats de santé, la satisfaction, la sécurité des patients (taux d’événements indésirables, retards de diagnostic, etc.).
  • Coût : Soutenabilité pour l’État et les individus, capacité à investir dans l’innovation sans sacrifier l’accès aux soins de base.
  • Accessibilité : Égalité d’accès, rapidité de prise en charge, gestion des listes d’attente.

Le Royaume-Uni, par exemple, combine une couverture universelle et un reste à charge très bas, mais subit régulièrement des critiques sur la rapidité d’accès et les files d’attente au NHS (cf. BBC News).

Quelques paradoxes et défis contemporains

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière les vulnérabilités mais aussi les forces inégalement réparties selon les systèmes :

  • Résilience : Les pays dotés de systèmes centralisés (comme le Danemark) ont pu rapidement redéployer leurs ressources ; d’autres ont souffert de fragmentation (ex. : Italie du Nord/Sud).
  • Numérisation : L’Estonie, pourtant modeste, se distingue par la digitalisation avancée de ses services de santé, facilitant la coordination et l’accès aux données médicales (source : e-Estonia).
  • Inégalités persistantes : Y compris dans les pays développés, les minorités ou les populations rurales restent moins bien servies, faute de politiques adaptées (voir étude OMS, 2022).

Dans l’analyse comparative, ces questions ont souvent plus de poids que la simple structure du mode de financement.

Comparer, c’est aussi s’inspirer

L’exercice comparatif présente une vertu essentielle : offrir des pistes d’amélioration pour chaque pays. Ainsi, les politiques de prévention scandinaves, la maîtrise des coûts en Espagne, ou la digitalisation en Estonie sont régulièrement érigés en exemples. De plus en plus, les innovations dépassent les frontières institutionnelles : télémédecine, parcours coordonné, empouvoirement des patients…

  • En Allemagne, la réforme des hôpitaux (Regulierung der Krankenhauslandschaft, 2023) vise à concentrer les plateaux techniques pour gagner en qualité et en efficience.
  • En France, la création des GHT (groupements hospitaliers de territoire) illustre la volonté de mutualiser et de coordonner dans un système historiquement fragmenté.
  • Au Canada, la priorité est donnée à la réduction des délais d’accès, thème central des réformes depuis plusieurs années (Institut canadien d’information sur la santé).

La circulation des modèles permet à chaque pays d’adapter ses réponses sans transposer aveuglément des solutions étrangères.

Au-delà de la comparaison : repenser la santé comme bien public mondial

La mondialisation des enjeux sanitaires – du vieillissement à la résistance antibiotique, en passant par les pandémies – rend d’autant plus utile et urgente la réflexion comparative. L’objectif ultime n’est plus seulement de grimper dans un classement, mais d’anticiper les défis collectifs, de garantir l’équité, de promouvoir la recherche et la prévention. La santé, patrimoine commun, se construit à la croisée des expériences nationales et de la solidarité internationale.

Sources principales : OMS, OCDE, Commonwealth Fund, e-Estonia, BBC News, Census Bureau, Institut canadien d’information sur la santé.

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