Un financement de la santé en tension : entre dépendance et quête d’autonomie

Le financement des systèmes de santé en Afrique subsaharienne reste une question centrale, où la marge de manœuvre des États demeure souvent limitée. Selon la Banque mondiale, les dépenses publiques de santé par habitant atteignaient en moyenne 35 dollars américains en 2021, soit près de dix fois moins que la moyenne mondiale (Banque mondiale). Cette faiblesse chronique du financement national se double d’une dépendance notable à l’aide internationale : dans plusieurs pays, plus de 30% des dépenses de santé sont encore assurées par des bailleurs externes (OMS, 2023).

Cette situation fragilise les politiques de santé : la volatilité des financements, liée aux conditions imposées par les bailleurs et aux fluctuations de l’aide, rend difficile la planification sur le long terme. Le recours aux paiements directs (out-of-pocket) par les ménages — générant parfois des « catastrophic health expenditures » — entretient l’exclusion des plus vulnérables du système de soins. Ainsi, l’OMS estime qu’en Afrique subsaharienne, près de 36% des citoyens doivent encore financer eux-mêmes leurs soins, souvent au prix de l’endettement ou du renoncement (OMS, Rapport sur la couverture sanitaire universelle, 2021).

Accès aux soins : la géographie, la pauvreté et les inégalités en toile de fond

L’accès inégal aux soins de santé est un trait marquant du paysage sanitaire subsaharien. La concentration des infrastructures de soins dans les zones urbaines laisse de vastes régions rurales sous-équipées. Selon l’UNICEF, près de 60% de la population rurale vit à plus de cinq kilomètres d’un centre de santé, ce qui se traduit par des retards de prise en charge, notamment en cas d’urgences obstétricales ou de maladies infectieuses (UNICEF Data).

La densité médicale reste parmi les plus faibles au monde : on y recense en moyenne 0,2 médecin pour 1 000 habitants (contre 3,5 en Europe), et dans certains pays comme le Tchad ou la Centrafrique, ce chiffre s’effondre à 0,05. L’accès aux médicaments essentiels pose aussi problème : l’OMS estime que 50% des habitants de la région n’y ont pas accès régulièrement, en raison de ruptures d’approvisionnement, de contrefaçons et de prix élevés.

Ces données masquent des inégalités intérieures fortes : femmes, enfants, populations nomades, personnes vivant avec le VIH ou en situation de handicap sont souvent les plus exposés à la défaillance des structures. À cela s’ajoute une barrière linguistique et culturelle dans certains contextes, rendant l’information sur les soins difficile à transmettre et à faire comprendre.

Des ressources humaines sous pression

La question des professionnels de santé illustre l’un des paradoxes majeurs des systèmes africains : formés dans un contexte de relative pénurie, nombre d’entre eux quittent leur pays d’origine pour l’étranger. D’après l’Organisation internationale pour la migration, sur la décennie 2010-2020, près de 14 000 médecins formés en Afrique subsaharienne auraient émigré vers l’Europe ou l’Amérique du Nord.

  • Pénurie persistante : Dans 35 pays de la région, l’OMS considère que la pénurie de personnel de santé atteint un seuil critique (moins de 23 personnels pour 10 000 habitants, seuil minimal fixé par l’OMS).
  • Inefficacité des politiques de formation : Les efforts pour augmenter le nombre de professionnels sont contrecarrés par des moyens insuffisants, une faible attractivité des carrières publiques et l’absence de dispositifs robustes de formation continue.
  • Moral et conditions de travail : Un rapport du Conseil nigérian des professionnels de la santé mentionnait en 2022 que 42% des médecins avaient envisagé d’émigrer, citant surcharge de travail, salaires bas et insécurité.

Ce déficit impacte la qualité des soins, la gestion des épidémies et la capacité à mener des actions de prévention à large échelle.

Double fardeau : maladies infectieuses et maladies non transmissibles

La région reste marquée par une forte prévalence des maladies infectieuses. Le paludisme, la tuberculose et le VIH/Sida continuent d’y faire des ravages, représentant près de 60% de la mortalité totale en Afrique de l’Ouest et du Centre, selon le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC, 2023).

Pourtant, l’émergence accélérée des maladies non transmissibles (MNT) — hypertension, diabète, cancers — rebat les cartes. L’OMS estime que les MNT sont responsables de près de 37% des décès annuels, contre 24% au début des années 2000, signe d’une transition épidémiologique rapide liée à l’urbanisation, aux changements de modes de vie et à la démographie.

Cette double charge pèse lourdement sur des systèmes qui peinent déjà à répondre aux urgences infectieuses, tandis que le dépistage et la prise en charge des maladies chroniques restent largement sous-développés.

Santé maternelle, infantile et enjeux de genre

Les progrès réalisés depuis vingt ans en matière de santé maternelle et infantile dans la région restent inégaux. Si le taux de mortalité maternelle a diminué de 38% depuis 2000, il atteint encore 545 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2020, soit plus de vingt fois la moyenne européenne (UNFPA, 2023). La mortalité infanto-juvénile demeure très élevée : 1 enfant sur 13 meurt avant l’âge de 5 ans en Afrique de l’Ouest et du Centre.

  • Accès aux soins prénatals : Selon l’UNICEF, plus de 35% des femmes enceintes ne bénéficient pas des quatre visites prénatales recommandées.
  • Accouchements non assistés : Dans plusieurs pays, plus d’un accouchement sur trois se déroule sans assistance qualifiée, en particulier dans les zones rurales et les quartiers défavorisés.
  • Poids des déterminants sociaux : Le manque d’éducation des filles, les mariages précoces et les inégalités économiques sont des freins majeurs à la réduction de la mortalité maternelle.

Les violences basées sur le genre, les mutilations génitales féminines et un accès limité à la planification familiale compliquent encore les avancées en matière de santé des femmes.

Gestes innovants face aux défis épidémiques et sanitaires

Face à ces problèmes structurels, l’Afrique subsaharienne est aussi un creuset d’innovations. Le recours à la santé mobile (mHealth) s’est accéléré avec l’essor du téléphone portable : au Kenya ou au Ghana, des plateformes comme mPedigree (vérification d’authenticité des médicaments) ou MomConnect (suivi prénatal par sms) touchent déjà des millions d’usagers.

Des solutions de micro-assurance santé fleurissent également, avec des plateformes telles que Mutuelles de Santé en Rwanda, permettant d’atteindre près de 90% de la population par des cotisations modestes et une implication communautaire forte. Les systèmes d’alerte épidémiologique exploitent de plus en plus l’IA et l’analyse des données pour détecter précocement les flambées — à l’exemple du système SORMAS mis en œuvre au Nigéria pour surveiller la propagation des maladies infectieuses.

L’innovation institutionnelle, via la régionalisation de la riposte comme avec la création de l’Africa CDC en 2017, est également à souligner. Elle favorise la mutualisation des ressources et le partage d’expertise scientifique, essentiels pour faire face aux épidémies telles que la Covid-19, l’Ebola ou le choléra.

Défis liés aux urgences sanitaires et adaptation aux crises récurrentes

La capacité à réagir aux urgences — qu'elles soient infectieuses, liées à des catastrophes naturelles ou à des conflits — reste particulièrement éprouvée. L’exemple de l’épidémie d’Ebola (2014-2016) en Afrique de l’Ouest, qui a coûté la vie à plus de 11 000 personnes, a mis en lumière les limites de certains systèmes de surveillance, de prise en charge, mais aussi les ressources extraordinaires de solidarité communautaire et d’adaptation locale (OMS/UNICEF Joint Monitoring Report, 2017).

La pandémie de Covid-19 a révélé, à nouveau, la vulnérabilité de la chaîne logistique médicale, mais aussi la réactivité de certains pays quant à la digitalisation du suivi des contacts, la production locale de matériel sanitaire (masques, gels) ou l’acheminement des vaccins via Covax. Toutefois, un rapport de MSF (Médecins Sans Frontières) évoque des ruptures de continuité des soins dans 32% des centres de santé lors des pics pandémiques dans la région sahélienne, illustrant la fragilité persistante face à l’imprévisible.

Perspectives pour un avenir plus résilient

L’avenir des systèmes de santé en Afrique subsaharienne se jouera sur la capacité à réduire les vulnérabilités structurelles sans négliger le potentiel d’innovation et de mobilisation communautaire. L’élargissement de la couverture sanitaire universelle, l’investissement dans les ressources humaines et le soutien à la transition numérique sont les voies privilégiées par la Banque africaine de développement et l’OMS pour dépasser le cap de la pénurie chronique. La région se distingue déjà par ses expériences pionnières dans le champ de la santé digitale, de l’assurance inclusive et de la coordination régionale face aux crises.

Face aux défis inédits qui s’annoncent — urbanisation, impacts du changement climatique, migration, mutations épidémiologiques —, l’adaptation rapide et le dialogue entre communautés, décideurs et partenaires internationaux seront déterminants pour renforcer les bases d’une santé publique durable et équitable en Afrique subsaharienne.

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