Des défis communs, des réformes diverses : comprendre le contexte européen

Les systèmes de santé européens sont marqués par une diversité de modèles, depuis le Beveridge britannique basé sur le financement public, jusqu’au système Bismarckien allemand fondé sur l’assurance obligatoire. Néanmoins, la plupart des pays font aujourd’hui face à des défis similaires :

  • Vieillissement de la population : Selon Eurostat, d’ici 2070, près de 30 % de la population européenne aura plus de 65 ans.
  • Explosion des maladies chroniques : Le fardeau des pathologies non transmissibles dépasse 85 % des années perdues en bonne santé dans l’UE (OMS Europe).
  • Défis d’accessibilité : Les inégalités régionales, financières et numériques persistent, et se sont accrues avec les crises récentes.
  • Soutenabilité économique : Les dépenses de santé atteignent en moyenne 10 % du PIB dans l’UE (source : OCDE), mais la pression sur les finances publiques ne cesse de croître.

Pour répondre à ces enjeux, plusieurs réformes notables ont été lancées. Certaines visent une plus grande efficience, d’autres renforcent la couverture solidaire, font basculer l’accès aux soins dans le numérique, ou revoient le rôle des professionnels.

Vers une intégration accrue des soins : l’exemple de la Scandinavie

La Suède, le Danemark et la Finlande ont investi massivement dans l’intégration des parcours de soins. Il s’agit de mieux coordonner la prise en charge entre hôpital, soins primaires, spécialistes et services sociaux, afin de fluidifier le parcours du patient et prévenir les ruptures de soins.

  • En Suède, le programme « Coordinated Individual Plans » a permis de réduire de 18 % les réhospitalisations non planifiées des personnes âgées depuis 2017 (Vårdanalys).
  • Au Danemark, 98 % des ordonnances se gèrent aujourd’hui en ligne, permettant un suivi centralisé de la médication et un meilleur partage d’information entre les acteurs de soins (source : Sundhedsdatastyrelsen).

La mutualisation des données et la délégation de certaines tâches aux infirmiers et pharmaciens font partie des piliers de cette réorganisation. Cependant, la résistance au changement (notamment chez certains praticiens) et les inégalités territoriales n’ont pas disparu.

Bascule numérique et santé connectée : avancées et écarts

Le virage numérique amorcé depuis une décennie a connu une accélération spectaculaire sous la contrainte de la pandémie. Plusieurs axes se dégagent dans les réformes européennes :

  1. Dossier Médical Partagé (DMP) : La France a généralisé le DMP accessible depuis 2021 (Mon espace santé), avec plus de 65 millions de profils ouverts par défaut à la mi-2023 (source : Assurance Maladie). Cependant, l’usage actif reste limité, autour de 13 % des patients.
  2. Télémédecine : L’Allemagne, la Norvège, la Belgique et l’Espagne ont facilité l’accès aux téléconsultations, surtout en zone rurale. En Estonie, près de la moitié des consultations de suivi de maladies chroniques se font désormais à distance (source : e-Estonia).
  3. Prescription électronique et plateformes régionales : Les Pays-Bas et le Danemark sont cités pour la quasi-totalité des prescriptions gérées numériquement. Cela réduit les erreurs et fluidifie la logistique pharmaceutique.

Mais le développement du numérique soulève aussi de nouvelles inégalités (« fossé digital »), entre générations, territoires, et classes sociales.

Réorganiser l’hôpital : expérience allemande et leçons de la crise COVID

L’Allemagne, dotée d’un des plus forts taux de lits hospitaliers d’Europe (7,8 lits pour 1 000 habitants, OCDE 2022), a entrepris en 2023 une profonde réforme du financement de ses hôpitaux. Objectif : passer d’une rémunération à l’acte (DRG) à une part forfaitaire valorisant la qualité et la pertinence. Cette évolution vise à limiter les hospitalisations inutiles et à orienter une partie de l’activité vers la médecine de ville.

  • Près de 30 % des hôpitaux publics seront restructurés d’ici 2030, avec fusion ou reconversion de certains sites (Ministère de la Santé allemand).
  • La pandémie a montré les limites du « tout-hospitalier » : malgré une capacité supérieure, le manque de soignants a contraint l’Allemagne à transférer des patients dans les Länder voisins (Helios Health Report 2022).

L’expérience du Royaume-Uni, durement frappé par la COVID-19 mais fort d’un vaste réseau d’infirmiers de pratique avancée (« Nurse practitioners ») et de « care coordinators », renforce la pertinence d’un parcours de soins réorganisé – en développant l’ambulatoire et la prévention au détriment du recours systématique à l’hospitalisation.

Lutter contre le renoncement aux soins : accès, reste à charge, prévention

Un enseignement majeur réside dans les politiques de réduction du renoncement aux soins. Selon l’Eurobaromètre, en 2022, 3,7 % des Européens ont déclaré avoir renoncé à des soins de santé pour des raisons financières, un chiffre à la hausse dans les pays d’Europe du Sud.

  • En Italie, la réforme de 2022 a élargi la gratuité pour plus de 8 millions de personnes âgées ou en situation de précarité, permettant une augmentation du taux de vaccination antigrippale de 37 à 54 % dans cette population (ISS 2023).
  • Le Portugal a supprimé en 2021 presque tous les « tickets modérateurs » (reste à charge) pour la médecine générale, faisant chuter de 28 % le retard de recours aux soins primaires par rapport à 2019 (Serviço Nacional de Saúde).

L’accent mis sur la prévention et l’éducation à la santé (ex : stratégie « Prévention 2030 » en Allemagne, taxation du sucre au Royaume-Uni, plan national nutrition santé en France) participe aussi à ce mouvement, même si les résultats restent contrastés selon les contextes culturels et la cohérence des interventions.

Expérience, innovation et limites : quelques enseignements transversaux

L’analyse des réformes récentes fait émerger plusieurs leçons structurantes :

  • L’intégration des soins améliore la qualité et la sécurité du parcours patient, à condition de dépasser les barrières organisationnelles et de soutenir les professionnels dans l’évolution de leurs pratiques.
  • Le numérique bouleverse positivement la gestion de la santé, mais doit être accompagné d’efforts majeurs en éducation numérique et d’une lutte contre l’exclusion des populations fragiles.
  • L’attention au renoncement aux soins, à la prévention et à la maîtrise du reste à charge contribue à réduire les inégalités et à gagner en efficience collective.

Il persiste néanmoins des points de vigilance : la démographie médicale déclinante dans de nombreux pays (par exemple, la France compte aujourd’hui 12 % de médecins généralistes « proches de la retraite », Drees 2023), le sentiment d’épuisement professionnel croissant (plus d’un soignant sur deux en état de détresse psychologique en Espagne au pic de la COVID-19 : The Lancet Respiratory Medicine) et les tensions sur le financement durable.

Quels horizons pour les systèmes de santé européens ?

Les réformes récentes ont permis de tester, d’ajuster ou de confirmer certaines orientations. L’Europe montre que pluralité des modèles et innovations contextuelles peuvent coexister et inspirer de nouvelles pistes :

  • Développer la coopération internationale sur la santé numérique, la recherche clinique ou la gestion de crises sanitaires (projet EHDS : European Health Data Space)
  • Repenser la place de l’hôpital au profit d’une santé axée sur la proximité, la prévention, le domicile
  • Renforcer l’attractivité et la formation des métiers de la santé pour garantir un accès équitable et une qualité d’accompagnement dans la durée
  • Instaurer un pilotage agile, capable d’évaluer en continu l’impact des réformes et de corriger rapidement les trajectoires

La diversité européenne offre un laboratoire vivant pour adapter les réponses aux mutations rapides de la société, de la technologie et de l’environnement. Les réussites et difficultés observées constituent une base précieuse pour imaginer les systèmes de santé plus résilients, justes et innovants de demain.

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