La prépondérance croissante des maladies chroniques : un défi de santé publique majeur

Les maladies chroniques occupent aujourd’hui une place centrale dans les préoccupations de santé publique. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elles sont responsables de près de 74% des décès dans le monde. En France, 20 millions de personnes seraient concernées, soit environ un tiers de la population, d’après la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM - chiffres 2023).

Ces pathologies, telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires, les cancers, les maladies respiratoires ou neurodégénératives, se caractérisent notamment par leur durée, leur évolution progressive et la nécessité d’une prise en charge à long terme. Cela requiert une organisation et une mobilisation du système de santé bien différentes de celles en vigueur pour les affections aiguës.

La politique de santé, à travers ses lois, ses financements et ses stratégies, influe directement sur la qualité, l’accessibilité et l’équité de la prise en charge de ces maladies. Explorer les interactions entre politique de santé et gestion des maladies chroniques permet de saisir les enjeux d’aujourd’hui et d’anticiper les défis de demain.

Les réformes des politiques publiques : vers une prise en charge plus coordonnée

Face à la montée en puissance des maladies chroniques, les pouvoirs publics ont multiplié les initiatives pour réorganiser la prise en charge. Parmi les réformes marquantes, citons :

  • La loi HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoires) de 2009, qui introduit notamment les Agences Régionales de Santé (ARS) pour mieux coordonner l’offre de soins au niveau territorial.
  • Le Plan national pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladie chronique (2019-2022), centré sur l’intégration de la prévention, l’éducation thérapeutique et la coordination ville-hôpital.
  • Le développement des dispositifs de parcours de soins coordonnés, comme les Maisons de Santé Pluriprofessionnelles ou les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS).

Ces mesures visent à rapprocher les professionnels de santé et à fluidifier le parcours du patient, souvent couteau suisse entre généralistes, spécialistes, paramédicaux, hôpitaux et structures médico-sociales. Pourtant, l’évaluation du terrain révèle une mise en œuvre parfois laborieuse et des disparités selon les régions (source : DREES, rapport 2023).

Le financement de la prise en charge des maladies chroniques : contraintes et innovations

La politique de santé détermine en grande partie les modalités de financement des soins pour les maladies chroniques. Le modèle français repose essentiellement sur la Sécurité sociale, qui prend en charge à 100% les soins des affections de longue durée (ALD) pour 11 millions de patients (source : Ameli.fr, 2022).

  • Dépenses de santé : Les maladies chroniques représentent environ 60% des dépenses totales d’assurance maladie, soit plus de 120 milliards d’euros par an.
  • Limites du paiement à l’acte : Ce système encourage un saupoudrage des consultations parfois au détriment de la coordination.
  • Vers de nouveaux modes de rémunération : Les expérimentations de paiement au parcours ou à la capitation (forfaitisation) se multiplient. L’Article 51 de la LFSS 2018 permet d’expérimenter des financements alternatifs, ciblant notamment les patients chroniques complexes.

L’objectif de ces évolutions est d’améliorer la pertinence des soins, la prévention des exacerbations et la maîtrise des coûts, en privilégiant une approche populationnelle et collective.

Citoyens, patients, usagers : quelle place accordée à l’autonomie et la prévention ?

Une politique de santé efficace face aux maladies chroniques ne se limite pas à l’organisation des soins mais intègre aussi la promotion de la santé, l’éducation du patient et son implication dans le parcours.

  • L’éducation thérapeutique du patient (ETP) figure depuis 2009 dans le Code de la santé publique. Quelque 6000 programmes d’ETP sont autorisés en France, axés sur la compréhension de la maladie et l’acquisition de compétences d’auto-soin (HAS).
  • Prévention primaire : Malgré les discours, son financement demeure marginal face au poids de la médecine curative (moins de 2% des dépenses de santé en France, contre 4% en Suède ou au Royaume-Uni– OCDE, Panorama 2023).
  • Rôle croissant de l’assurance maladie et du service public d’information en santé (par exemple Santé.fr, le Health Data Hub) pour éclairer les choix du citoyen.

L’empowerment du patient, souvent mis en avant dans les réformes, se heurte encore à des difficultés d’appropriation, des barrières linguistiques, éducatives ou socio-économiques. La politique de santé pourrait mieux investir dans la prévention, l’accompagnement d’un « patient expert », et la lutte contre la stigmatisation.

Inégalités sociales et territoriales dans la prise en charge : l’impact des choix politiques

Si la France dispose d’une couverture financière robuste pour les ALD, des inégalités importantes persistent dans la prise en charge quotidienne des maladies chroniques.

  • Inégalités sociales : Les populations les plus vulnérables (revenus faibles, précarité, isolement) cumulent davantage de facteurs de risque, de retards de diagnostic et de complications (source : Inserm, 2021). Le diabète, par exemple, touche 2 à 3 fois plus les personnes vivant sous le seuil de pauvreté (Diabète et précarité, Fédération française des diabétiques, 2022).
  • Inégalités territoriales : On observe de fortes différences de mortalité ou d’accès aux soins selon les départements, les quartiers ou les zones rurales. Par exemple, la mortalité prématurée par maladies chroniques est 50% plus élevée dans les Hauts-de-France que dans l’Ouest (DREES France Portrait Social, édition 2022).
  • Rôle des politiques locales et nationales dans l’implantation de structures de coordination, de téléconsultation ou d’interventions mobiles, qui peuvent réduire (ou accentuer) ces écarts.

Ainsi, la lutte contre les maladies chroniques impose une réflexion sur la redistribution des moyens, l’adaptation des dispositifs aux contextes locaux, et l’intégration des déterminants sociaux de la santé dans l’action publique.

Innovations organisationnelles et médicales portées par la politique de santé

L’adaptation aux enjeux des maladies chroniques entraîne une transformation profonde de l’organisation du système de santé :

  1. Médecine de parcours et coordination renforcée : La montée en puissance de dispositifs comme les Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (autour de 2000 en 2023) ou les CPTS vise à mieux intégrer soins, prévention, médico-social. La création de postes d’infirmiers de pratique avancée (IPA) améliore l’accès à un suivi plus fin des patients chroniques, notamment en diabétologie, insuffisance cardiaque ou oncologie.
  2. Santé numérique et télésanté : La généralisation de la téléconsultation (11 millions d’actes remboursés en 2022, CNAM), les outils de télésurveillance (programme ETAPES.), et les « dossiers médicaux partagés » facilitent la continuité du suivi, notamment pour les patients éloignés des centres urbains.
  3. Participation citoyenne : Les Conférences régionales de santé, associations de patients, et usagers investissent le débat public et la gouvernance des dispositifs de santé. Ce dialogue structure la politique de santé de demain.

Les limites subsistent, entre inégalités d’accès aux outils numériques, surcharge administrative pour les praticiens et risques de déshumanisation de la relation de soins. Cependant, ces innovations récentes constituent des leviers majeurs pour repenser la prise en charge des maladies chroniques.

Le poids des enjeux démographiques et sociétaux sur la politique de santé

La croissance de la population âgée et la multiplication des polypathologies pèsent sur les choix stratégiques.

  • Vieillissement et multimorbidité : Plus de la moitié des plus de 65 ans vivent avec au moins deux maladies chroniques en France (source : DREES 2022). Cela implique une adaptation continue de l’offre de soins et la nécessité de mutuelles synergies entre soins hospitaliers, ambulatoires et médico-sociaux.
  • Pénuries de professionnels de santé et démographie médicale : 7000 médecins généralistes de moins en France d'ici 2025 selon l’Ordre des médecins, ce qui accentue les difficultés à assurer la continuité du suivi des maladies chroniques (Atlas de la démographie médicale 2023).
  • Nouvelle place pour l’accompagnement social : Les politiques incluent désormais la lutte contre l’isolement, l’adaptation du logement, l’accès à l’emploi ou à la scolarité des personnes concernées par une maladie chronique.

La politique de santé doit donc s’adapter à un paysage démographique en mutation, en développant des approches transversales, fondées sur la coordination, la prévention et l’innovation sociale.

Perspectives d’évolution et pistes prioritaires pour renforcer la prise en charge

Les maladies chroniques vont redéfinir la politique de santé pour les décennies à venir. À la lumière des constats issus des expériences récentes, plusieurs priorités s’imposent :

  • Accroître l’investissement dans la prévention : Cela passe par l’intégration du dépistage, de la promotion de l’activité physique, de la lutte contre les addictions, mais aussi par la réduction des inégalités d’éducation à la santé.
  • Dynamiser la santé numérique et les soins coordonnés : Le développement de la télésurveillance, du partage de données et de l’intelligence artificielle doit être réalisé avec des garde-fous éthiques et des actions ciblées contre la fracture numérique.
  • Placer la personne au centre du système : Reconnaitre le rôle du patient expert, promouvoir l’autonomie et la personnalisation du parcours, impliquer les aidants dans la stratégie de prise en charge.
  • Réduire les inégalités territoriales : Adapter les dispositifs existants aux spécificités des territoires, soutenir la mobilité des professionnels, renforcer les réseaux locaux et la télémédecine.
  • Évaluer et ajuster les dispositifs : Un effort de recherche et de publication d’indicateurs en santé, associant usagers, praticiens et autorités, est indispensable pour ajuster les politiques aux réalités du terrain.

L’implication de la politique de santé dans la prise en charge des maladies chroniques demeure une dynamique en constante évolution. L’avenir reposera sur la capacité à articuler prévention, innovation, coordination interprofessionnelle et profonde attention aux déterminants sociaux, pour une approche toujours plus globale, équitable et durable.

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