Le numérique : catalyseur d’une nouvelle ère dans l’éducation à la santé

L’irruption du numérique dans nos vies a transformé en profondeur l’accès à l’information et les modalités d’apprentissage. L’éducation à la santé, traditionnellement confiée aux professionnels ou à l’entourage, se réinvente aujourd’hui au contact d’outils digitaux omniprésents. Du site officiel aux applications de suivi, des vidéos pédagogiques aux réseaux sociaux, chaque support façonne désormais nos connaissances et représentations de la santé. Selon Santé Publique France, près de 80 % des Français interrogés déclarent avoir déjà recherché des informations de santé sur Internet (Santé Publique France).

Mais le numérique n’est ni neutre ni universel : il véhicule de puissants leviers de démocratisation, mais expose aussi à de nouveaux risques. Quels sont alors les apports réels du numérique pour l’éducation à la santé ? Et comment tirer bénéfice de ces outils tout en en comprenant les limites ?

Multiplication et démocratisation des sources d’informations en santé

  • Un accès élargi et immédiat à l’information. Avec plus de 5 milliards d’utilisateurs d’internet dans le monde début 2024 (source : DataReportal), la santé n’a jamais été aussi accessible. La documentation est pluraliste : sites institutionnels (HAS, OMS, Ameli), portails spécialisés, forums, vidéos éducatives, podcasts et applications mobiles. Les acteurs traditionnels (ministères, sociétés savantes) coexistent avec de nouveaux influenceurs, parfois issus du corps médical, qui popularisent la vulgarisation scientifique.
  • Des outils interactifs favorisant l’engagement. Quizz, e-learning, plateformes d’accompagnement personnalisé (comme Tabac Info Service), serious games de prévention — autant d’exemples où le numérique stimule l’apprentissage par la participation. Selon la Fondation La main à la pâte, l’usage des jeux sérieux en classe améliore l’attention et la mémorisation sur les sujets complexes (source : Fondation La main à la pâte, 2023).
  • Personnalisation et autonomie. Les applications santé permettent de suivre son activité, ses symptômes, sa médication, ou de recevoir des messages adaptés à ses besoins. Un exemple frappant est le Plan National Nutrition Santé : ses campagnes intègrent désormais des outils numériques pour évaluer son alimentation et délivrer des conseils adaptés (source : PNNS, Ministère de la Santé).

Impact du numérique sur les compétences en santé : promesses et limites

Quels gains éducatifs ?

  • Favoriser la mise à jour des connaissances. Le numérique répond à l’évolution rapide des recommandations médicales. Une étude française réalisée durant la pandémie de COVID-19 a montré que 90% des étudiants en santé utilisaient Internet au quotidien pour mettre à jour leurs connaissances sur le virus (source : "Use of Digital Tools in Medical Education During COVID-19", BMC Medical Education, 2022).
  • Sensibilisation précoce et large à la prévention. De nombreux programmes éducatifs en ligne ciblent désormais les plus jeunes, via des vidéos expliquées sur la vaccination, la sexualité, ou l’alimentation. L’OMS estime que les campagnes numériques de prévention touchent 30% d’individus de plus que les campagnes traditionnelles dans les pays industrialisés (OMS).
  • Suppression partielle des barrières géographiques et sociales. Les habitants de zones rurales, auparavant moins exposés à l’information médicale, bénéficient désormais d’un accès facilité, à condition d’avoir une connexion internet et les moyens de l’utiliser.

Mais de nettes limites et points de vigilance

  • La fracture numérique, un risque de creuser les inégalités. Selon le Baromètre du numérique 2023, 17 % des Français de plus de 15 ans se disent en difficulté avec les outils numériques, avec des écarts majeurs chez les plus âgés et les publics précaires (ARCEP, Baromètre du numérique 2023).
  • L’information, un terrain d’incertitude. Le volume impressionnant de contenus accessibles complexifie le tri de l’information fiable. La HAS souligne que jusqu’à 40 % des informations santé consultées par les patients en ligne présentent des inexactitudes ou des biais d’interprétation (source : Haute Autorité de Santé, 2022).
  • L’excès d’informations génère confusion et anxiété, un phénomène qualifié d’"infodémie" par l’Organisation Mondiale de la Santé, particulièrement visible lors de la crise COVID-19.
  • Protection des données : un enjeu crucial. L’utilisation croissante d’applications santé pose d’importantes questions de confidentialité : la CNIL rappelle que 76 % des applications santé les plus téléchargées collectent des données sensibles parfois sans réelle transparence.

Numérique et éducation à la santé des jeunes : nouveaux usages, nouveaux risques

Chez les adolescents et jeunes adultes, le numérique s’est imposé comme source première d’information. Selon une enquête menée en 2023 par le CSA-Crédoc, YouTube arrive en tête des outils utilisés par les jeunes pour s’informer sur la santé, devant les sites institutionnels, et 1 jeune sur 2 suit au moins un "influenceur santé" sur les réseaux sociaux.

  • Avantages : les formats courts et ludiques, l’accès anonyme, la diversité des sources (illustrations, témoignages, vidéos).
  • Inconvénients : l’exposition à des fausses informations, la difficulté à identifier les sources crédibles (une étude de l’Université de Bordeaux montrait que seuls 36 % des vidéos santé sur TikTok sont jugées "fiables" par des experts ; source : University of Bordeaux, 2023).

En parallèle, le numérique joue un rôle inédit dans la déstigmatisation de certaines thématiques autrefois taboues. De nombreux forums et groupes de soutien en ligne permettent d’aborder la santé mentale, la sexualité, ou le handicap, sujets encore difficilement traités dans le cadre scolaire classique. Mais ces espaces peuvent aussi devenir le lieu d’échanges non modérés ou de cyberharcèlement.

Réseaux sociaux et culture de la santé : influence, opportunités, dérives

Les réseaux sociaux, longtemps considérés avec méfiance par les institutions, se sont rapidement imposés comme relais incontournable d’éducation à la santé. Instagram compte plus de 100 000 comptes dédiés à la vulgarisation santé dans le monde selon Social Blade. Certains médecins et soignants, comme le Dr. Mikaël Apel, cumulent des centaines de milliers d’abonnés en France (Social Blade).

  • Ciblage et diffusion massives. Une campagne institutionnelle bien relayée sur les réseaux peut toucher plusieurs millions de personnes en quelques jours, à condition de manier les codes numériques : storytelling, vidéos courtes, infographies.
  • Apparition d’acteurs non professionnels de santé, qui véhiculent parfois des conseils simplistes, des pseudo-sciences ou des propos anxiogènes. La régulation reste difficile, même si Twitter et Meta accentuent les signalements et la lutte contre la désinformation.
  • Difficulté à développer l’esprit critique chez les plus jeunes quant à l’origine des messages : un défi majeur pour l’éducation à la littératie en santé.

Vers une hybridation : concilier outils numériques et approches traditionnelles

Face à ces réalités, la question n’est plus tant celle de la place du numérique dans l’éducation à la santé, mais bien de sa complémentarité avec d’autres acteurs et modalités.

  • Formations hybrides pour les professionnels. De plus en plus de cursus santé intègrent, en formation initiale et continue, des modules numériques (MOOCs, webinaires) pour actualiser les connaissances. L’Université Paris Cité a signalé une hausse de 150 % des inscriptions à ses modules en ligne santé entre 2019 et 2023 (source : Université Paris Cité).
  • Développement de la littératie numérique en santé. Plusieurs pays comme le Canada ou la Finlande introduisent à l’école des modules visant à apprendre aux élèves à vérifier la fiabilité de l’information en ligne, à reconnaître les fake news et à exercer leur esprit critique.
  • Implication croissante des patients et usagers dans la création de ressources, favorisant une approche participative et collaborative.
  • Coopérations innovantes. De plus en plus d’initiatives associent établissements scolaires, collectivités et acteurs du numérique pour créer des ressources adaptées (par exemple la plateforme "J’explore la santé" développée avec la Mutualité Française).

Construire l’avenir : quelles conditions pour un numérique bénéfique à l’éducation à la santé ?

À l’échelle individuelle comme collective, la réussite de l’éducation à la santé numérique exige plusieurs conditions :

  1. Développer l’esprit critique, la littératie numérique et l’autonomisation des citoyens dès le plus jeune âge, pour pouvoir décrypter, trier et analyser des informations parfois contradictoires.
  2. Renforcer la présence et la visibilité des institutions et professionnels de santé sur les plateformes numériques, avec un langage adapté et des formats innovants.
  3. Garantir un accès équitable aux outils numériques, en luttant activement contre la fracture numérique et en accompagnant les publics vulnérables.
  4. Asseoir des systèmes de régulation efficaces pour limiter la circulation des informations trompeuses et assurer la sécurité des données personnelles.
  5. Favoriser l’innovation responsable : impliquer systématiquement des patients et représentants d’usagers dans la conception des outils et contenus éducatifs.

Enjeux et perspectives : le numérique, moteur d’équité ou nouveau facteur de division ?

Le numérique constitue une opportunité majeure d’élever le niveau général de connaissances en santé et d’adapter l’éducation à la diversité des publics, notamment pour les jeunes générations nées dans un environnement digital natif. Mais il agit également comme un révélateur et parfois un amplificateur des inégalités sociales et culturelles.

L’avenir de l’éducation à la santé passe par une hybridation réfléchie : il s’agit de faire du numérique un levier d’émancipation collective, à condition que chacun dispose des clés techniques et intellectuelles nécessaires à son utilisation. Le défi des années à venir sera d’inventer un espace numérique de la santé où l’information scientifique, la protection des libertés et la justice sociale avancent de concert, contre la désinformation et l’exclusion.

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