L’état des lieux : Pourquoi la prévention peine-t-elle à s’imposer ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que plus de 80% des maladies cardiaques, des AVC et des diabètes de type 2, ainsi que plus d’un tiers des cancers, pourraient être évités par la prévention (source : OMS). Pourtant, le financement consacré à la prévention varie de 2 à 5% du budget total de la santé dans les pays membres de l’OCDE (source : OCDE, Panorama de la santé 2023).

  • Faible investissement : La « prévention » est souvent vue comme une dépense, alors qu’elle génère des économies majeures à moyen et long terme (par exemple, chaque euro investi dans la vaccination rapporte en moyenne 44 euros, selon une étude publiée dans Health Affairs en 2021).
  • Fragmentation des politiques : Les stratégies de prévention sont émiettées entre différentes structures (assurances, agences sanitaires, collectivités locales…), ce qui limite leur effet d’ensemble.
  • Défi de l’évaluation : Les bénéfices en santé publique s’expriment sur plusieurs années, rendant difficile la mobilisation de crédits dans des calendriers politiques courts.
  • Équité sociale : Les populations les plus vulnérables, pourtant les premières concernées par les maladies évitables, bénéficient rarement des actions de prévention classiques (source : Santé publique France).

Les trois axes clés de la prévention en santé

Pour être pleinement intégrée dans les politiques publiques, la prévention doit être structurée autour de trois axes principaux, selon le schéma reconnu en santé publique :

  1. Prévention primaire : Empêcher l’apparition de la maladie (ex : réduction du tabagisme, alimentation équilibrée, promotion de l’activité physique, vaccination).
  2. Prévention secondaire : Détecter précocement les maladies pour éviter leur aggravation (ex : dépistages organisés du cancer du sein, du côlon, prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaires).
  3. Prévention tertiaire : Limiter les conséquences d’une maladie déjà déclarée (ex : réhabilitation après un AVC, suivi post-infarctus).

L’efficacité d’une politique préventive passe par la combinaison harmonieuse de ces trois niveaux et par une adaptation aux contextes locaux et sociaux.

Intégrer la prévention dans les politiques de santé : expériences et innovations

Des plans nationaux à la réalité locale

Plusieurs pays ont tenté de placer la prévention au cœur de leur politique de santé :

  • Finlande : Le North Karelia Project dans les années 1970 a permis de réduire de plus de 60% la mortalité cardiovasculaire en vingt ans grâce à une stratégie multi-sectorielle impliquant école, agriculture, industrie agroalimentaire et médias (source : American Journal of Public Health).
  • Royaume-Uni : L’introduction du National Health Service Health Check pour les 40-74 ans, centré sur la prévention du diabète, de l’AVC et des maladies cardiovasculaires, a permis de détecter précocement des milliers de cas (Public Health England, 2017).
  • Canada : Les politiques de taxation du tabac, combinées à l’interdiction de publicité, ont joué un rôle déterminant dans la baisse du taux de fumeurs chez les jeunes (Statistique Canada, 2022).

Prévention: une action transversale

L’efficacité d’une politique de prévention repose sur la collaboration de nombreux acteurs en dehors du seul ministère de la Santé :

  • Écoles : L’introduction de l’éducation à la santé dès le plus jeune âge, comme le programme « Manger Bouger » en France, participe à l’acquisition de réflexes de vie sains.
  • Urbanisme : Encourager la pratique de l’activité physique passe par un aménagement urbain adéquat (pistes cyclables, espaces verts). À Copenhague, plus de 45% des habitants se rendent au travail à vélo, grâce à des politiques volontaristes d’urbanisme (Ville de Copenhague, 2023).
  • Entreprises : Les programmes de santé au travail réduisent l’absentéisme de 25% en moyenne, selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT, 2020).

Le numérique, catalyseur de prévention

Les outils numériques offrent de nouveaux moyens précis et personnalisés pour la prévention :

  • Applications de suivi : Elles rappellent les rendez-vous de dépistage, proposent des recommandations alimentaires personnalisées ou motivent à l’exercice régulier.
  • Télémédecine : Permet de suivre à distance les populations rurales ou isolées pour les campagnes de vaccination ou de dépistage.
  • Analyse de données : Les big data permettent d’identifier les « clusters » de maladies et d’anticiper des épidémies (ex : Gripenet en Europe pour la surveillance participative de la grippe).

Toutefois, l’accès équitable à ces innovations reste un défi majeur : la fracture numérique peut aggraver les inégalités si aucune mesure d’accompagnement n’est prévue.

Les freins structurels à surmonter

L’intégration durable de la prévention implique de lever certains obstacles :

  • Les modèles de financement : Le paiement à l’acte incite à multiplier les soins curatifs plutôt que préventifs. Plusieurs pays, dont la Suède et le Royaume-Uni, testent des financements au forfait ou à la performance sur objectifs de santé publique.
  • L’évaluation à long terme : Les indicateurs classiques (hospitalisations évitées, années de vie en bonne santé gagnées) nécessitent des bases de données solides, un suivi de cohorte et une transparence dans les résultats. Les retours sur investissement en prévention mettent parfois plus de 10 ans à apparaître.
  • Le poids des lobbies : Les industries du tabac, de l’alcool ou de l’alimentation ultra-transformée investissent massivement pour freiner l’adoption de politiques restrictives. La taxe soda française, par exemple, a subi d’importantes pressions avant et après son entrée en vigueur en 2012 (Le Monde, 2013).
  • L’adhésion de la population : La prévention ne fonctionne que si le message est compris et accepté. Les campagnes de vaccination contre la COVID-19 ont montré combien la confiance dans les autorités est déterminante (Santé publique France, 2022).

Combiner incitations, régulations et participation citoyenne

Incitations et fiscalité

La fiscalité, comme les taxes sur le tabac, l’alcool ou les boissons sucrées, est l’un des leviers les plus efficaces pour modifier les comportements (source: WHO Global Report). Le Mexique, en imposant une taxe sur les sodas en 2014, a vu une baisse de 7,6% de la consommation la première année et 12% la seconde, notamment chez les ménages les plus modestes (BMJ, 2017).

Régulations et normes

L’interdiction de publicité pour le tabac, l’obligation du Nutri-Score ou l’étiquetage nutritionnel sont des exemples d’actions réglementaires qui modifient en profondeur le marché et la perception du consommateur.

Concertation et empowerment citoyen

La prévention n’est jamais imposée durablement. Il est désormais prouvé que la participation des usagers à la conception des programmes locaux (associations de patients, conseils citoyens de santé) renforce leur efficacité.

Pistes d’avenir pour des politiques de prévention intégrées

  • Un financement plus ambitieux : Augmenter la part consacrée à la prévention dans le budget de la santé. L’ONU recommande un objectif de 6% afin d’atteindre des résultats significatifs sur la santé globale (source : United Nations General Assembly, 2023).
  • Développer des indicateurs adaptés : Adopter des outils de suivi au-delà du seul critère « mortalité », incluant bien-être, réduction des incapacités et équité d’accès à la prévention.
  • Soutenir la recherche sur l’efficacité de la prévention : Des essais contrôlés, mais aussi des études de cohorte sur les environnements et la promotion sociale de la santé.
  • Une approche globale et intersectorielle : La santé dans toutes les politiques (“Health in All Policies”), appliquée à l’urbanisme, l’éducation, l’alimentation, permet des gains de santé à grande échelle.

Vers une nouvelle culture de la santé

Les marges de progrès pour intégrer la prévention dans les politiques de santé sont colossales. L’enjeu n’est pas seulement budgétaire : il s’agit de repenser la santé comme un investissement collectif et non comme une dépense, d’associer citoyens, professionnels et décideurs à la conception des politiques, et de privilégier la transparence sur les résultats.

La prévention des maladies est le fruit d’un écosystème – où chaque acteur, du décideur au citoyen, joue un rôle. L’avenir d’une politique de santé efficace passera par une mobilisation transversale, portée par l’innovation, la formation et le partage équitable des ressources.

Plus que jamais, faire de la prévention une priorité s’impose pour que les systèmes de santé soient à la fois plus durables, plus justes et plus efficaces.

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