Une naissance historique : la santé comme droit fondamental

Le NHS a vu le jour en 1948, à l’initiative du ministre travailliste Aneurin Bevan. Ce lancement témoignait d’une volonté politique « révolutionnaire » pour son temps : fonder un service de santé gratuit au point d’usage, « pour tous, fondé sur les besoins, non la capacité à payer ». Ce principe rompt avec les logiques d’assurance sociale à l’allemande ou d’assurance privée dominante comme aux États-Unis.

Le financement repose sur la fiscalité générale : ainsi, ce sont les impôts qui assurent la prise en charge collective, et non des cotisations proportionnelles au revenu ou des primes individuelles. Cette dimension égalitaire structure profondément la philosophie du système.

Organisation : une structure centralisée mais régionalisée

  • Angleterre, Écosse, Pays de Galles, Irlande du Nord : depuis la dévolution opérée à la fin des années 1990, le NHS s’organise régionalement, avec un pilotage distinct selon les nations.
  • NHSEngland : depuis 2013, cette entité supervise l’ensemble du NHS anglais, soit plus de 55 millions de patients potentiels.
  • Soins primaires et secondaires : le NHS fonctionne sur un modèle avec le généraliste (GP) en porte d’entrée. Les patients passent par leur médecin traitant pour tout accès aux spécialistes ou à l’hôpital (sauf urgences).

Cette organisation « gatekeeping » place les généralistes au centre de l’orientation des patients, rôle renforcé depuis la pandémie de Covid-19 où leur implication dans la vaccination s’est révélée déterminante (BMJ, 2022).

Des principes fondateurs toujours affirmés

Le NHS est bâti sur trois principes, réaffirmés dans ses documents officiels :

  • La gratuité au point d’utilisation
  • L’universalité (tout résident britannique, sans distinction de revenu)
  • L’égalité d’accès en fonction des besoins, et non du statut social

La traduction concrète de ces principes est visible : environ 90% des recettes du NHS proviennent de la fiscalité nationale et seulement 2% du reste (tickets modérateurs sur médicaments, soins dentaires ou optiques). Près de 60 millions de personnes bénéficient chaque année de soins gratuits à la demande (NHS Digital, 2023).

Un modèle éprouvé et envié… mais sous pression

Performances remarquées

Malgré un budget régulièrement jugé insuffisant, le NHS a longtemps démontré une capacité à offrir un haut niveau de soins, à coût relativement réduit. Selon l’OCDE (2022), le Royaume-Uni dépensait 10,2% de son PIB pour la santé, contre 12,7% pour la France et 17,8% pour les États-Unis. Et pour autant :

  • L’espérance de vie à la naissance était de 81,1 ans (2021), un niveau intermédiaire parmi les pays riches.
  • Les taux de mortalité évitable y étaient inférieurs à la moyenne de l’Union européenne jusqu’en 2019 (Health at a Glance, OCDE).
  • La part du secteur privé reste limitée : 10,5% de la dépense de santé en 2022 (ONS).

Des limites croissantes

L’universalité du système souffre, toutefois, de plusieurs failles structurelles :

  1. Les délais d’attente : en janvier 2024, plus de 7,6 millions de personnes attendaient un rendez-vous pour une intervention hospitalière non urgente, soit un record historique (source : BBC News). Ces listes d’attente, endémiques depuis les années 1990, se sont aggravées avec la crise du Covid-19 et la pénurie de ressources.
  2. La crise du personnel : selon le Royal College of Nursing, il manquait 43 000 infirmiers qualifiés en 2022. Même pénurie côté médecins généralistes, avec une baisse de 5% de leur nombre depuis 2015 (source : Health Foundation).
  3. Inégalités territoriales : entre Nord industriel et Sud plus aisé, l’accès à certains services varie fortement, exacerbant l’écart d’espérance de vie de plus de 10 ans entre Blackpool (Nord-Ouest) et Richmond-on-Thames (sud de Londres).

Réformes majeures : entre étatisme et ouverture au privé

  • Internal Market (1991) : introduction d’une logique de quasi marché, les hôpitaux étant mis en concurrence pour capter des « contrats » sur la base de leur efficience.
  • NHS Plan (2000) : relance du financement public, investissement massif dans les infrastructures, doublement du budget santé en 10 ans.
  • Coalition government (2010-2015) : politique d’austérité drastique, incitation à la délégation de certains services au secteur privé, explosion de l’externalisation (13 milliards de livres de contrats privés cumulés entre 2013 et 2022, selon The Guardian).
  • NHS Long Term Plan (2019) : recentrage sur la médecine de proximité, création de 1 259 Primary Care Networks pour désengorger les hôpitaux, lutte contre les pathologies chroniques.

Chaque tournant a amplifié les tensions entre défense d’un NHS « pur » et exigence d’innovation managériale ou de rétablissement budgétaire. L’opinion britannique manifeste une très forte attache symbolique au NHS : 93% des personnes interrogées en 2023 estiment « primordial » de préserver le modèle public (YouGov 2023).

Forces et points faibles du NHS mis en lumière par la pandémie de Covid-19

  • Capacité d’adaptation : le NHS s’est illustré par une rapide organisation de la vaccination et une mutualisation d’unités de soins critiques. Plus de 70% des adultes vaccinés dès l’été 2021 (Public Health England).
  • Lourdeur bureaucratique : la centralisation du pilotage et les défaillances de la chaîne de traçage des cas Covid en 2020 ont illustré les faiblesses de coordination (National Audit Office, 2021).
  • Inégalités exacerbées : la mortalité liée au Covid a été supérieure de 48% dans les quartiers les plus pauvres que dans les plus riches, un constat qui a renforcé le débat sur la justice sanitaire au Royaume-Uni (ONS, 2021).

Comparaisons internationales : le NHS isolé ou précurseur ?

Le NHS est souvent comparé à d’autres modèles majeurs :

  • Allemagne : orientation assurance sociale, soins spécialisés plus accessibles en direct, copaiements plus fréquents.
  • France : cohabitation assurance maladie obligatoire et complémentaire ; reste à charge plus lourd hors ALD ; rôle du médecin traitant, mais accès aux spécialistes plus souple qu’au Royaume-Uni.
  • États-Unis : fragmentation, absence d’un système unifié, accès très inégalitaire malgré Medicaid/Medicare ; coût bien supérieur pour des résultats globaux moins bons.

Un rapport du Commonwealth Fund (2021) classe le NHS premier mondial en « accès, efficacité et équité », mais note une dégradation rapide sur les résultats de santé populationnelle, soulignant l’importance d’investissements continus et de réduction des inégalités structurelles.

Perspective : un système à la croisée des chemins

Le NHS continue d’incarner une aspiration collective à la solidarité en santé. Pourtant, son avenir est suspendu à des choix politiques et sociétaux majeurs :

  • Comment revaloriser les métiers de santé et enrayer la fuite massive des soignants ?
  • Quels moyens pour restaurer la qualité et la rapidité de l’offre dans un contexte budgétaire contraint ?
  • Comment préserver le principe d’universalité dans une société britannique toujours plus inégalitaire ?

L’expérience du NHS britannique révèle, avec acuité, les dilemmes modernes des systèmes de santé : équilibre fragile entre équité, efficacité et soutenabilité financière. Plus qu’un modèle, un laboratoire d’adaptation continue face aux défis communs à toutes les sociétés développées (référence : The King’s Fund).

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